Cannes 2025: Day 12: Saturday 24 May: Le Figaro

Le Figaro predictions

 

La 78e édition du festival se termine sur un goût d’inachevé. Peu de films ont fait l’unanimité, laissant une critique divisée comme rarement face à une sélection, glamour sur le papier, mais ayant du mal à tenir ses promesses

À l’annonce de la sélection officielle du 78e Festival de Cannes mi-avril, l’enthousiasme était de mise : le cru 2025 s’annonçait historique et rutilant. Le programme concocté par Thierry Frémaux mêlait vétérans (les Dardenne, Wes Anderson) et une nouvelle génération de cinéastes quadras où les réalisatrices tenaient leur rang en réalisant sept des 22 films en lice pour la palme d’or. Les stars hollywoodiennes allaient se bousculer sur la Croisette : Denzel Washington, Jodie Foster, Robert de Niro, Isabelle Huppert, Jennifer Lawrence, Benedict Cumberbatch, Robert Pattinson, Pedro Pascal, Emma Stone, Joaquin Phoenix, Austin Butler, Tom Cruise, Josh O’Connor… Millenials, boomers comme génération Z étaient servis.

 

Malgré toutes ces promesses alléchantes, plane sur la Croisette un air de flottement, un goût d’inachevé. De nombreux films attendus sont retombés comme des soufflés. Difficile de prédire un successeur aussi euphorisant qu’Anora, palme d’or 2024. De mémoire de critiques, cela faisait longtemps qu’un Festival de Cannes n’avait pas été aussi clivant. Peu d’œuvres arrivant à faire consensus.

Auspices tonitruants

Cette 78e édition avait pourtant démarré sous les meilleurs auspices. Animée par Laurent Lafitte, la cérémonie d’ouverture semblait portée par cette énergie frénétique promise. La soirée a embrassé d’emblée un ton très politique, en rupture avec les derniers grands raouts de la planète cinéma, réunie début mars pour les Oscars et mutique sur le sujet. Lauréat d’une palme d’honneur que lui a décernée Leonardo DiCaprio, Robert de Niro a livré un plaidoyer pour la démocratie américaine menacée par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche : «Dans notre pays, nous luttons d’arrache pied pour défendre la démocratie que nous considérons comme acquise. L’art est en quête de la liberté. C’est pourquoi nous sommes une menace pour les autocrates et les fascistes de ce monde. » Dans la foulée, la présidente du jury de ce cru 2025, Juliette Binoche a lancé un cri d’alarme sur la situation à Gaza et en Israël.

Les convulsions géopolitiques ont dominé une bonne partie compétition. Réalisée par Ari Aster, la fable Eddington  est une parabole des divisions idéologiques actuelles de l’Amérique. Se déroulant à l’époque des purges staliniennes Deux procureurs  de l’Ukrainien Sergei Loznitsa tend aussi un miroir à la Russie de Poutine. Le cinéma iranien a fait un retour en force porté par Jafar Panahi et Saeed Roustae. Le premier dans Un simple accident  ausculte la tentation d’ex-détenus de se venger de leurs tortionnaires, une attaque frontale contre la République islamique. Le second suit dans Woman and Child le destin d’une mère de famille sur le point de refaire sa vie. Déjà égratigné dans La Conspiration du Caire, le président égyptien al-Sissi est plus que jamais dans le viseur des Aigles de la république  du réalisateur suédo-égyptien Tarik Saleh. Un comédien y est contraint d’incarner l’ancien général putschiste dans un biopic tout à sa gloire. Sans oublier, L’Agent secret  du Brésilien Kleber Mendonça Filho, portrait d’un homme traqué pour de mystérieuses raisons pendant la dictature brésilienne.

Litanie de déceptions et chiasme entre critiques

Effet miroir, écho ? Le moins que l’on puisse dire est que cette sélection n’a laissé personne indifférent. « Plusieurs titres ont été très polarisants. Peut-être cette sélection reflétait-elle simplement l’état d’esprit des cinéastes d’aujourd’hui, existentiellement parlant. Ce fut un véritable plaisir de voir les critiques s’entre-déchirer », observe le journaliste canadien Barry Hertz du Globe And Mail. Parmi les titres les plus fustigés figurent ceux qui avaient pourtant la distribution la plus hollywoodienne et flamboyante : le neo-western Eddington, où se toisent Joaquin Phoenix et Pedro Pascal, Die My Love,  portrait d’un couple en prise avec la dépression postpartum campé par Jennifer Lawrence et Robert Pattinson. Même les blockbusters, projetés hors compétition, ont fait pschit. De Mission : impossible : The Final Reckoning  au remake de Kurosawa Highest 2 Lowest de Spike Lee.

Quatre ans après sa palme d’or pour Titane, le retour sur la Croisette de Julia Ducournau avec Alpha, allégorie du Sida, n’a pas laissé de marbre que ses personnages. « Méditation confuse et tourmentée », pour Variety. « Parabole d’une originalité saisissante et d’une exagération déconcertante », s’interroge Hollywood Reporter. « Un pudding amphigourique », diagnostique Le Figaro. Si nos critiques ont été séduits par les deux autres films tricolores de la compétition La Petite Dernièreet Dossier 137, ils ont toutefois suscité moins d’enthousiasme chez les journalistes internationaux. Trop français, sans doute, comme le faisait remarquer une critique danoise après avoir vu Partir un jourle film d’ouverture.

Des notes médiocres, des pronostics incertains

Les tableaux de notes des critiques reflètent cette édition polarisante. Que ce soit celui de la société internationale cinéphile, des critiques internationaux de Screen Daily, de Ioncinema ou de l’association des critiques chinois, peu de films ont dépassé en première semaine la barre fatidique de 3 sur 5, seuil atteint par les précédentes palmes d’or. Dans ces classements, les mieux placés sont le polar brésilien L’Agent secret sur la première marche du podium, Sound of Falling, portrait intergénérationnel de femmes sur un siècle, et Sirat, road-movie dans le désert marocain du Franco-Espagnol Oliver Laxe. Trois drames qui ont profondément déçu Le Figaro, à rebours de ses confrères. « Sirat néglige l’intrigue. Et la puissance des décibels de la bande-son accentue la débâcle », observe Éric Neuhoff. « Sound of Falling , de la réalisatrice allemande Mascha Schilinski, est une œuvre trop longue, déroutante, prétentieuse et incompréhensible », note Florence Vierron. Pour Étienne Sorin, « L’Agent secret, de Kleber Mendonça Filho, entre série A, B et Z peine à évoquer la dictature au Brésil ». Cette succession de déceptions depuis Eddington « donne des airs de Mostra de Venise à Cannes », estime notre confrère. Ces dernières années, le festival italien a parfois aligné « des stars hollywoodiennes dans des navets ».

Les emplettes du distributeur Neon, abonné aux palmes d’or

La seconde semaine de la compétition a charrié son lot de nouveaux chiasmes. Plébiscité par Le Figaro, le poétique History of Sound sur l’idylle dans l’Amérique de l’Entre-deux-guerres entre deux passionnés de musique folk s’est vu qualifier de « Brokeback Mountain sous sédatifs» par la presse spécialisée, insensible au charme combiné de Paul Mescal et Josh O’Connor. Si le rêve fiévreux Résurrection  du Chinois Bi Gan a transcendé une partie des festivaliers, Éric Neuhoff a calé devant cet indigeste « mélange des genres, durée exponentielle, intrigue fumeuse ».

Il a fallu attendre Nouvelle Vague, de Richard Linklater, qui retrace le tournage d’À bout de souffle, de Jean-Luc Godard pour mettre les cinéphiles des deux rives de l’Atlantique sur la même longueur d’onde. De la tendresse, c’est aussi l’étendard du récit familial Valeur sentimentale de Joachim Trier, qui a généré, avec Un simple accident, le premier vrai concert de louanges de ce festival. Le réalisateur norvégien retrouve sa muse de Julie (en 12 chapitres), Renate Reinsve, pour une étude de l’amour et du deuil, de la réussite professionnelle, du suicide et de la paternité défaillante. Un retour en force du cinéaste et de la comédienne déjà primée à Cannes, épaulés par Stellan Skarsgard et la star hollywoodienne Elle Fanning. Avec à la clef une salve d’applaudissements de 19 minutes.

En voilà un qui sera au palmarès, mais est-ce suffisant pour une palme ? Il faudra surveiller les longs-métrages de Jafar Panahi, Kleber Mendonça Filho eux aussi portés par un bouche-à-oreille solide. Avec un indice encore qui donne une longeur d’avance à ces trois films : Valeur sentimentale, L’Agent secret et Un simple accident ont été acquis par Neon. Depuis Parasite en 2019, le distributeur américain a raflé toutes les palmes d’or, sans exception. Samedi vers 19 h 45, il en aura peut-être rajouté une sixième à son palmarès.

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